Choisir la laque comme moyen d’expression c’est s’imposer des limites pour mieux les dépasser.
Je suis née à Toulouse en 1971. A l’adolescence où on a cette capacité de s’enflammer en vibrant totalement, j’ai senti le monde basculer dans la beauté. J’ai aussi ressentis une présence : c’était habité, immense et merveilleux. Je me sentais dépassée et je voulais le communiquer, ma vocation de peintre était née. J’ai fait les Arts Déco à Paris, où j’ai découvert dans un bain d’amitié une vie étudiante fabuleusement riche. Les portes de la liberté et de la création s’ouvraient toutes grandes ! Un jour, j’ai discuté avec une étudiante dans la cafétéria de l’école. Elle m’a raconté son échange Erasmus aux Beaux-Arts de Hanoi où elle avait fait de la laque. Je me suis sentie aimantée par cette idée : partir sur un autre continent et apprendre une technique de peinture mystérieuse… Après mon diplôme en 1995, je suis partie voyager en Inde pendant 6 pour travailler chez Mère Térésa. Ca a été un voyage initiatique. J’ai fait beaucoup de photos et de dessins de femmes défigurées par la vie. J’avais 25 ans et je n’étais plus la même quand je suis rentrée.
De retour à Paris j'ai commencé à travailler pour une styliste de photographie de mode. Quel contraste avec l’Inde. C’était très vaguement relié à ma passion et je n’avais aucune production artistique aboutie. J’ai rencontré mon mari à cette époque : Il était Canadien, il avait beaucoup voyagé. On a quitté le monde de la pub ensemble.
En 1999, nous fermions nos business Free Lance, et partions sur la route avec une vieille Range Rover de Paris à Hanoi. J’avais sur un bout de papier froissé un numéro de téléphone d’un peintre en laque à Hanoi. Dès mon arrivée, j’ai commencé mon apprentissage de la laque. J’ai découvert que choisir la laque, c’était s’imposer des limites pour mieux les dépasser. Travailler avec un matériau précieux était un plaisir supplémentaire, car la laque végétale est vivante, rare, chère, et durable. J’ai rapidement pu expérimenter la laque dans mon premier atelier, j’ai ensuite régulièrement repris des cours avec des maîtres différents. J’ai progressivement arrêté les autres médiums pour me concentrer sur la laque.
Après quatre ans à Hanoi, nous avons décidé de vivre au Canada. A Toronto, j’ai rencontré une artiste Québécoise avec qui nous avons monté un atelier d’art bilingue, La Muse. Nous voulions un lieu où nous pourrions travailler, donner des cours, exposer notre travail et celui d’autres artistes. Mais l’énergie déployée pour se faire connaitre et gagner notre vie d'enseignantes nous a privé du temps pour créer.
En 2010 nous avons décidé de recommencer notre vie de famille à Vientiane, la capitale tranquille et poussiéreuse du Laos. J’ai trouvé déchirant de laisser de l’autre côté de la planète tout notre univers. Mais je savais ce que l’Asie me donnerai en cadeau : du temps et de l’espace pour créer. J'ai repris ma production lentement - car c’est le maître mot quand on parle de la laque et du Laos – et j’ai fait des expos solo à Vientiane, à Toronto puis Siem Reap où j’ai été invitée en Aout 2018 au Asia Lacquer Exchange. J’étais fière d’être reconnue par mes pairs et admise dans ce groupe d’irréductibles qui utilisent encore la laque végétale dans ce monde où le synthétique et la rapidité priment. J’ai acquis un savoir-faire rare et je suis un maillon dans cette tradition millénaire. Je partage le monde qui m’émeut sur mes tableaux que je fabrique patiemment dans mon atelier au bord d’un petit lac que j’observe à chaque heure. L’Asie est redevenue ma maison où je m’épanouie.